Photo: Anne Sendik
"J'ai un nouveau projet" de et mis en scène par Guillermo Pisani
Du 4 au 21 Novembre au Théâtre de la Tempête
Le titre de la pièce attire par son ironie.
Qui dans le monde du théâtre et en général de la culture n’a pas entendu une fois cette expression devenue un mantra agressif pour montrer son activité débordante, sa vie intense et nous, nous interlocuteurs, renvoyant à notre immobilité et notre vide ?
En réalité, cette expression est bien un masque qui cache souvent un vide existentiel partagé. Et c’est bien un des sujets de cette pièce abordant le monde sauvage des relations humaines, sociales et au travail.
Tout se déroule dans un seul lieu, bien pratique et surtout malin car au fil de la pièce, on s’aperçoit qu’il est l’allégorie de la fable proposée par le metteur en scène. Nous assistons irrémédiablement à coups de soirée privatisée, de nouveaux concepts chez la concurrence, de rachat, à la destruction invisible d’un bar, carrefour des liens humains.
Cette engloutissement du lieu symbolique où le lien social se fait le plus naturellement opère en plusieurs strates, les attaques sont nombreuses entre la boîte qui privatise les lieux pour son afterwork et annulant le concert initialement prévu jusqu’à la disparition de tout le mobilier et du personnel au profit de l’ « empty space » (espace vide) qu’une technocrate s’échine à justifier en précisant à ses employés que ce n’est pas du tout un open space malgré l’absence de murs.
Le piège le plus insidieux, le plus destructeur est bien celui de la métamorphose du lieu ,signe de mouvement et à priori valeur positive.Mouvement qui se transforme en agitations, en gestes et paroles vaines, tombant à plat et nourrissant l’incompréhension, l’incommunicabilité. On va y revenir .
Ce bar, durant sa mort lente accueille un tas de personnages aussi répugnants qu’attachants qui bien évidemment nous tendent un miroir et peignent les moeurs qui sont aujourd’hui les nôtres : des écrans, des afterworks, des applications et un monde du travail où on ne se comprend plus, on est seuls face à son patron, au piston, à l’arbitraire.
La satire bien installée tend vers l’insupportable à tel point qu’on se dit que nous ne sommes pas tout de même venus pour voir un afterwork et qu’on veut à tout prix nous faire quitter la salle le plus vite possible comme ce scénariste qui cherche dans un coin du bar à écrire son film et qui se pose sérieusement la question de faire un film pour que les gens ne mettent plus les pieds au cinéma.
Dans ce monde qui est le nôtre juste un peu plus poussé émerge seulement la vertu du courage répétée à l’envi par le barman-apprenti poète qui mène un groupe de lecture. Ce groupe lui rappelant que le courage poétisé ce sont les futuristes, épris de vitesse, de machines et de fascisme.
Vous l’aurez compris, le mouvement, le courage se retourne contre nous et fait le vide sur le plateau. À tel point, qu’un groupe de pubars crée une application pour « rechercher des humains… »
Cette destruction précise et méthodique des liens humains a ses défauts notamment des tirades parfois abrutissantes de bons sentiments et de langage technocrate trop attendues dans une critique sociale. La fable satirique y perd. Des personnages qui ne progressent pas trop, usés et malades, battus certains. La révolte attendra. Elle n’atteint pas le grotesque des Monstres de Dino Risi ou des Chiens de Navarre sur ce sujet des relations humaines. La critique du monde technocratique d’aujourd’hui peut se retrouver du côté de la nostalgie, d’un retour aux choses d’avant, si bien que le spectacle bloque un peu politiquement et n’offre pas d’alternative, d’utopie pour sortir de l’enfer à venir.
Cependant, il y a un point que la pièce montre jusqu’à l’obscène et puissamment dans cette mutation vers un monde de mouvements dans le vide. Ce sont les attaques sur la première ébauche d’une interaction entre deux humains : la langue.
Le langage est subvertie, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi mais ici, comme le mouvement et le courage, il se fabrique une langue pour ne pas se parler, à coup d’explications alambiquées, de justifications improbables, de dialogues sourds. Plus personne ne discute et pourtant tout le monde communique. C’est l’effrayant paradoxe d’aujourd’hui. Un langue qui se constitue sur le vide conceptuel des chargés de comms, une recherche poétique biaisée du barman, une impossibilité de s’écouter pour trouver un terrain d’entente entre salariées, un bannissement de mots comme « sexe » et « érotisme » au nom de la visibilité sur internet., de la réussite professionnelle.
Le masque du vide qui craque est présenté comme un nouveau projet.
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