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  • Photo du rédacteurMathieu Méric

CHERCHER LA PAIX Ton Père 
d’après Christophe Honoré De Thomas Quillardet


Les temps changent. Hier le réquisitoire de Kafka concernant l’attitude de son père qu’il aima pourtant si fort faisait figure de geste particulièrement bouleversante et émancipatrice. Aujourd’hui, la sexualité paternelle confiée à sa descendance prend une dimension libératoire et permet un pas vers l’acceptation de soi, celle des autres, une reconnaissance vers plus de tolérance.

Il s’agissait de tirer des bilans saisissants aboutissant à l’étalage du monstrueux, à l’inverse , dans Ton Père, la déviance, l’anormalité, le monstrueux va vers l’acceptation, l’humanité.

Kafka va vers la guerre, Honoré cherche la paix. Ce qui ne se fait pas sans violence.


Le dispositif de ce spectacle sème doucereusement un trouble dans la conscience et la morale car au-delà d’un outing, la manière dont est abordée la paternité amplifie la subversion du sujet.


Un père homosexuel confie à sa fille de dix ans ses émois sexuels et amoureux, sa vie sentimentale, comment il s’est construit. Le projet estun prétexte à l’introspection autobiographique par le biais de plusieurs canaux tels que la lettre, le journal intime, les souvenirs s’entremêlent sans que nous nous perdions car l’énoncé est verbalisé avec clarté dès le début par le comédien Thomas Blanchard à la diction remarquable, sans excès même lorsque le texte pousse à l’extravagance, gardant avec une rigueur de métronome un rythme fluide qu’il imprime au spectacle car il est tour à tour dans un rôle omniscient de conteur de son propre drame et s’insère dans les scènes illustrant le récit car oui, il s’agit bien de récit (autobiographique ) ici et ce texte se place tout à fait dans le veine d’une littérature impulsée par Annie Ernaux ou François Bon , ces autobiographies provinciales, loin des axes intellectuels, faites de matérialité, de misère sociale et affective.

Cette micro-épopée avec pour centre la découverte de l’homosexualité, comment la vivre, en analepse, nous envoie dans le début des années 80 par la musique - The Cure, Générique de lStade 2 - plus simplement avec le kitsch du décor symbolisé par cette moquette ou aspect moquette verte de la scénographie qui envahit l’espace et nous plonge automatiquement dans une époque datée. Cet univers pop du tout début dés années 80 Est complété par un dispositif quadri-frontal encadrant la scène comme un pré vert, un espace de jeu pour enfant dont il est beaucoup question au départ avant qu’ils ne laisse la place à l’adolescente, charnière, centre de tout, pathétique et cosmique, héraclitéenne chez l’auteur qui s’en approprie le langage corporel et textuel.

Ce triptyque dispositif-scénographie-langage pose très bien la « socialité » de ce théâtre, dans quel milieu il se joue. Pas du tout populaire, la phrase d’Honoré brode parfois longtemps, c’est un proustien. Pas du tout réaliste non plus, Blanchard/Honoré de sa position d’ordonnateur du pré scénique est tour à tour extérieur en conteur ou monsieur loyal et intérieur dans les voyages vers l’errance durant son adolescence briochine. Donc méta-metteur en scène, commentateur, acteur. Ces déplacements, cette instabilité rappelle celle de l’auteur lui-même qui navigue entre cinéma, théâtre et écriture.


La dramatisation de l’intime n’est pas chose aisée et, ici, le parti pris, pas d’ atmosphère de scandale mais plutôt des couloirs de lycée, des routes bretonnes, une conversation avec une mère d’un enfant ami du sien, au cinéma bien sûr. La souffrance est là mais peu à peu l’écriture reconfigure cette histoire et les banalités se transforment en étapes vers une existence qui se vit mieux au milieu de l’absurdité du monde; ce refus de la mythologie ou alors cet attachement à celles de Barthes, nous entraine. Nous, qui avons vécu nos errances adolescentes, si banales et unique à la fois, dont nous ne savions pas quoi faire avant d’entrer en psychanalyse.


Christophe Honoré, dans le refus du sublime, de l’ornement, de la grandiloquence, fidèle au jeune garçon qu’il fut, bien épaulé par Quillardet ici, transforme ce moment de violence, de connaissance, de la perte de l’innocence en un récit doux et poignant à la fois, à bas mot, penché vers sa fille, à sa hauteur, dont l’exigence de sincérité force l’empathie.


M.M


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