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Photo du rédacteurMathieu Méric

DES ÂMES MORTES

LE CÔTÉ DE GUERMANTES

d’après Marcel Proust

La Comédie-Française au Théâtre Marigny

Adaptation et mise en scène : Christophe Honoré


L’écrin et la situation forment un continuum.

Grâce à son éclatant style à l’italienne rouge et or et aussi par l’immersion proposée au spectateur avec un décor qui épouse l’esthétique du théâtre, comme son prolongement, si bien que la séparation entre la salle et la scène s’efface et permet d’être dans une proximité avec tout à la fois une chronique mondaine, sociale, politique, amoureuse mais surtout, avant toute chose, un drame voire une tragédie en sourdine, la rencontre entre le Théâtre Marigny et les scénographes Alban Ho Van et Ariane Bromberger est harmonieuse.

Cette démarche sans aucun doute étudiée nous rapproche réellement des personnages qui ne sont pourtant qu’apparences et plasticité dans leur vie mondaine rythmée par les repas et les soirées avec le voisinage. Avant qu’on ne se rappelle que nous avons parfois la même vie et, pire, que ce n’est pas du théâtre, du moins nous ne le recevons pas comme cela.

Ces apparences craquèlent sous le vernis de ces simulacres de gaieté, de jovialité et de faux-sérieux. Entre rires forcés, anecdotes croustillantes, et théâtralité outrée, c’est un monde de hyènes qui révèle bien sa monstruosité. Un monde qui se protège de la gravité par la frivolité et le bon mot. Mais ça ne suffit pas car le texte, traversé par l’Affaire Dreyfus, n’évite pas les questions fâcheuses et l’exposition de l’antisémitisme rampant et les malaises se succèdent dans la salle de l’hôtel de Guermantes.



Le rapprochement entre le décor et la salle nous fait sentir obstinément, irrémédiablement l’Affaire donc l’ l’antisémitisme qui traverse l’hôtel tel un monstre à multiples faces.

D’autres sujets se déploient sur scène grâce à une circulation intense de la parole, l’introduction de l’ arriviste Marcel poussant chacun à se mettre en avant.

Les pépiements de la duchesse de Guermantes dans cet entre-soi permanent et institué, sont de redoutables lancettes envoyées au dos de toute ce société aristocrate qui se réchauffe entre elle de bons mots, voulant montrer fière figure en s’accrochant aux arcanes du pouvoir et surtout en faisant mine de s’y intéresser.

Tout le monde tient son rôle dans cette revue d'effectif. Leur entrée, dans une chorégraphie ridicule et simultanée, est mise en scène de la sorte.

Une revue un peu raide sur ses jambes, manquant de souplesse, de danse tout simplement, de mouvement.

C’est un monde immobile, figé de convenances hypocrites dans lequel Saint-Loup , -le bravache, le taciturne, le tourmenté- introduit Marcel, un monde qui tourne sur lui même et s’ennuie ferme.

Surtout un monde en décomposition, l’antisémitisme en atteste et rappelle qu’il est un bon indicateur pour vérifier la déchéance d’une société vouée à la haine, hoquetant un dernier cri, un dernier souffle, vide de sens bien sûr et inaudible à partir de 1914.

Cette prison à une seule issue de sortie, la porte d’entrée de l’hôtel en fond de scène donnant sur les Jardins des Champs-Élysées. Aux participants passifs de cette farce bon teint et morbide à la fois, elle nous offre une perspective , un échappatoire à cette comédie de masques. Contre-balançant par la profondeur d’allée un salon qui au fur et à mesure du spectacle, se rétrécit tellement l’esprit s’en échappe. La scène, à la fois comique et bouleversante entre Marcel et Charlus chez ce dernier se joue à l’avant-scène, rideau baissé.

La pièce s’ouvre par l’angle amoureux avec l’interprétation de My Lady d’Arbanville de Cat Stevens par Stéphane Varupenne incarnant un Marcel romantique, un peu gauche dont la torpeur va s’agrandir dans la pièce au contact de cette société qui radote.

En contraste, la première apparition de la duchesse- -magnifique Elsa Lepoivre- est exubérante, Dalidienne. On voit et ressent quelqu’un qui écrase non pas pour écraser mais pour vivre, n’ayant que cet éclat éphémère renouvelé chaque soir pour se rassurer dans cette vie réglé de cloaque.

La duchesse met un temps certain à « voir » Marcel dans la pièce. L’important est de la voir, les autres ne sont là que pour être médit. C’est son jeu, mesquin, mais non diabolique, juste l’ennui menant à cet art du ragot comme occupation principale.

Pivot de la pièce, après le « trajet » de Marcel jusqu’au salon de l’Hôtel : l’emménagement , la visite à Saint-Loup.., avec Bison de Guermantes, ils sont les maitres de cérémonies chargés de la logistique et des débats du petit monde.

Après nous avoir introduit chez le Guermantes, peu à peu Marcel s’efface. En effet, tenant le rôle du Narrateur omniscient difficile de trouver une autre place que celle d’observateur. Sans baigner comme un poisson dans l’eau, ni se noyer, Marcel fait plutôt office de témoin. Mais surtout, il sera le receveur de la confession burlesque et déchirante de Charlus interprété avec corps dans un jeu en lignes de crêtes entre folie et préciosité. Par Serge Bagdassarian. Remarquable performance de l’acteur qui évite tout radotage.

Le mal-être de Charlus nous réconcilie brutalement avec ces âmes damnées qui se révèlent, lorsque le vernis social et distinctif craque. Comme dans cette scène, comme quand Bison hôte souple et léger montre une facette hideuse de sa personne en réprouvant un de ses domestiques et minimisant l’évènement de la mort d’un proche, comme quand la duchesse, croisant Swann, hésite terriblement à suivre Bison pour un énième repas de voisinage…

Tout en teintes parfois grossières, saturées ou alors en coup de griffes rapides faisant apparaître avec clarté sentiments et émotions, ce spectacle passe en revue tout le jeu social qu’est la vie, toute la tragédie d’un monde enfermé dans sa classe. Tout cela dans un rythme qui ne tourillonne pas, qui laisse le temps de s’installer dans les dialogues mais ne laisse pas trainer on plus, évitant le mélodrame, le romantisme qui pourrait pointer son nez.

Parfois lyrique, le fureur de Charlus, parfois bouffon, les bons mots de la duchesse, parfois inique, la monstruosité de Bison, toujours au plus près des âmes humaines.

M.M



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