Le Grand Inquisiteur
d'après Fédor Dostoïevski
mise en scène Sylvain Creuzevault
artiste associé
https://www.theatre-odeon.eu/fr
Quelle ne fut pas ma joie d’assister à une mise en scène d’un texte-monstre, « Le Grand Inquisiteur » par Sylvain Creuzevault grimpant une nouvelle fois un monument du XIXe siècle après Le Capital de Marx.
Quelle ne fut pas ma déception devant l’amphigouri mal rythmé et peu préparé auquel j’assistais. D’habitude si intrépide et si brûlant de blasphémer un grand texte avec le concours d’acteurs en osmose avec ses offensantes propositions scéniques, Creuzevault rate la marche dostoïevskienne en adaptant sur un ton désacralisant et farcesque, belle profanation pourtant, un évangile apocryphe qui interroge l’homme et ses capacités si puissamment que le chemin choisi par le metteur en scène, évacuant la mystique et rieur envers la philosophie du texte, peut s’avérer sans issue et vide de sens. Texte d’une telle puissance qu’il nous semble que le metteur en scène, submergé, a dû trouver refuge chez Heiner Müller, lui aussi génial et aussi infréquentable que l’auteur russe, convoqué au beau milieu du spectacle pour se trouver une bouée matérialiste dans cet odyssée syncrétique qui ne laisse personne indemne à la lecture.
Sur scène, après un prologue brouillon qui échoue de lancer le spectacle par son faux-rythme, suite d’un affichage en toutes lettres peintes sur le rideau de sécurité de la scène d'une tension qui effectivement parcourt le texte : DIEU et la REBELLION. Ce texte est très vite abîmé par l’Inquisiteur.
Après une entrée très spectaculaire, une imposante présence scénique, le personnage s’étiole par une diction ennuyeuse et des déplacements incertains et répétitifs qui consistent à tourner autour d’un Jésus muet, joué comme un peu comme un benêt, pendant quarante-cinq minutes. L’imprécation, la péremption du texte et sans doute recherchée par l’acteur tombe à plat si bien qu’il faut être endurant pour subir une scène où est pourtant déclamé un des plus grand monologue de la littérature mondiale.
En clôture, d’un premier axe Jesus /Inquisiteur , que retiens-t-on ? Une immédiate volonté de trahir le texte par un fort aspect matérialiste qui enlève tout espèce de sacralité, L’Inquisiteur se dévêt, quitte son austère veste, le cardinal dans sa tenue est empoté, ridicule et erre sur scène observant ce qu'il se déroule sans la moindre influence. Jésus sourit béatement, sans défense, semblant désintéressé de ce monologue interminable sans souffle, avec diverses relances mais sonnant creux. On le comprend.
C’est une préparation au grotesque qui arrive dans la deuxième partie du spectacle. Grotesque illustré par les entrées clownesques d’acteurs-effigies interprétant Staline, Hitler, Thatcher et Trump. Moins remarquée, celle d’Heiner Müller est pourtant décisive puisqu’il va trop longuement occuper la deuxième partie du spectacle qui déjà pêchait par son rythme. Son long monologue accompagné par des images d’une interview nous plonge, après l’Espagne des Torquemada de l’Inquisiteur, dans le post-marxisme d’après-guerre en RDA. Après l’Inquisition, le capitalisme comme obstruant la liberté et proposant de régler tous nos problèmes dans un simulacre de justice divine. La pensée est fulgurante, les formules font mouches, il nous sauve avec ce monologue-conférence des autres idiots qui tournent en rond autour de lui et qui n’ont à offrir au spectateur que leur personnage, grotesque en soi, rappelant notre siècle, la décadence, l’horreur et la vacuité d’un pouvoir si laid et de plus en plus grand-guignolesque.
Ces chef d’Etats et dictateurs associés par le metteur en scène, hormis torturer et jeter dans une fosse Jésus ce qui est théâtralement bien vu mais aussi convenu, à l’image de l’Inquisiteur, tournent en rond (autour de Müller qui rallume l’étoile rouge) et n’ont pas un grand interêt scénique si ce n’est qu’on rit de la connotation avec les personnages historiques, souvenirs qu’il ont laissés dans l’Histoire et bien sûr de leur bêtise insondable. C’est ce qui est dommage car c’est un rire conformiste qui ne va pas au-delà des caricatures que sont ces personnages. Finalement, tout le monde tient bien son rôle, sans plus.
Très brouillon, des séquences très désunies, peu de propositions de déplacements scéniques, c’est l’ennui qui domine devant ce fatras ni tragique ni comique qui nous rend oublieux du texte de Dostoïevski loin aux oubliettes, disparu de la scène volontairement puis réapparaissant sporadiquement de manière satirique dans la bouche de Trump comme un effet inversé de la tirade du Dictateur de Chaplin.
Cette pulvérisation du texte ne nous restitue que des copeaux, des chutes, de spectacle. Trop nonchalant, il met à découvert le problème d’une adaptation d’un texte canonique et vertigineux dans une esthétique dramatique fragmentaire, faite de distorsions, de déraillements, d’accidents. Difficile à suivre, difficile rencontre entre un texte et un metteur en scène, difficile de rire ou de pleurer. Dommage, nous en avons tant besoin.Entres autres choses.
M.M
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