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Photo du rédacteurMathieu Méric

Intense Fortunio !

À l’Opéra-Comique jusqu’au 22 décembre.

Fortunio

Comédie lyrique en quatre actes d’André Messager. Livret de Gaston Arman de Caillavet et Robert de Flers d’après Le Chandelier d’Alfred de Musset. Créé à l’Opéra Comique en 1907.

Direction musicale, Louis Langrée

Mise en scène, Denis Podalydès 

Avec Cyrille Dubois, Anne-Catherine Gillet, Franck Leguérinel, Jean-Sébastien Bou, Philippe-Nicolas Martin, Thomas Dear, Aliénor Feix, Luc Bertin-Hugault 

Choeur les éléments

Orchestre des Champs-Élysées

À lire le programme de la soirée, on s’attend à une bouffonnerie narrant une histoire badine dans laquelle un barbon provincial se fait cocufier par un soldat de passage en garnison. Un marivaudage sans prétention qui disserte de manière légère sur les caprices de l’amour. Un peinture sous forme de farce d’un milieu provincial et bourgeois où les règles du mariage ne suivent pas celles de l’amour.

Las ! Il n’en est rien ! Cette comédie lyrique, avec ses demi-caractères -personnages pittoresques, milieu bourgeois, grivoiserie- possède la fluidité et le mouvement rythmé tirant vers le comique. Celui-ci servi par la remarquable prestation de Louis Langrée et l’Orchestre des Champs-Elysées en parfaits compagnons de la scène avec une musique nerveuse sans cabotinage, très alerte et légère. 

Franck Leguérinel incarne un maître André sur lequel repose l’essentiel de l’aspect comique de la pièce. Barbon dépassé, il espionne Jacqueline par jalousie. Son aveuglement et son idiotie le font passer à côté de sa vie. Décalé, toujours en retard de l’action, il ne fait que subir sans le savoir chaque évènement de la pièce. On est dans le schéma de l’arroseur arrosé, tout comme le capitaine Clavaroche. Faux stratèges, vrais ridicules.

Mais  Louis Langrée et l’Orchestre des Champs-Elysées servent aussi une densité et une force nécessaire faisant accélérer les mouvements de coeur dans le décisif Acte III. 

Car, cette comédie de 1907 est adaptée de la pièce Le Chandelier de Musset et par cela nous savons par avance que le sujet des infortunes de l’amour est traité avec plus de profondeur qu’une grivoiserie teintée de sentimentalisme. 

Le goût artistique de l’époque est au « nervosisime » fin-de-siècle selon l’expression de Paul Bourget. Contre le naturalisme, on recherche le Beau, de la pureté d’âme, un absolu intense, hors les règles de la société donc souffrant, malade, mélancolique… 

Musset, disparu cinquante ans auparavant, et son bestiaire de monstrueux amoureux romantiques est revenu sur le devant de la scène grâce à ce goût pour le décadentisme, cette alliance de la Beauté et de la maladie qui caractérise l’époque fin-de-siècle. 

Tiré du Chandelier, Fortunio est un héros romantique noir, plus Werther que tout autre gracieux et vivace héros romantique français. Le tempérament ténébreux et suicidaire de Fortunio éclate lors de l’Acte III, lorsqu’il s’effondre à genoux, pris de convulsions épileptiques au moment même où Jacqueline succombe à la pureté de son amour. 

Les décors d’Eric Ruf accompagnent bien ce chemin que prend la comédie vers une intense énergie noire, avec sobriété et élégance par de subtils détails rappelant par le mouvement des saisons, et les reflets de l’âme du héros instable, fragile, que l’amour consume. 

Cyrille Dubois excelle dans ce rôle de héros blessé de nature, incapable d’adaptation au monde qui l’entoure, incapable d’aimer sans passion dévastatrice.  Tête basse, éploré, il est l’opposé névrotique de l’hyperactif Maitre André. Dans ce jeu de tensions Jacqueline alterne entre frivolité et gravité tant l’émotion s’empare du plateau lors de l’aveu de Fortunio. Personnage le plus dynamique incarné par l’épatante Anne Catherine Gillet, le personnage de Jacqueline malgré un bovarysme certain, développe une subtilité psychologique de la passion amoureuse, tantôt attirée par la liberté et transie devant la pureté des sentiments du héros. 

Fortunio est une oeuvre beaucoup complexe et subtile qu’elle ne laisse paraître et la mise en scène de Podalydès appuie un romantisme noir qu’elle porte en elle. La musique de Messager, qui fut le directeur musical du Comique tout en étant admirateur  Wagner,  restitue à merveille ce centrage romantique dans la comédie lyrique, tableau vif d’une esthétique consciente de son a-moralité et assoiffée d’idéalisme. 

Mathieu Méric.  



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