"ITEM", Théâtre du Radeau Jusqu'au 16 décembre au T2G-Théâtre de Gennevilliers
Ecrire que le Théâtre du Radeau nous embarque dans un univers singulier propice à la dérive rhapsodique, au dépassement de tout barrage entre le rêve et réalité transformant le temps en matière liquide, où l’on rame pour atteindre une cohérence interne et restituer un cap dans une mer de signes, relève du pur pléonasme. Il est entendu que nous sommes bien au théâtre et que c’est uniquement les différents vents rugissants de la scène qui mènent la barque. François Tanguy s’échine depuis le début de l’aventure a élaboré artisanalement une langue proprement théâtrale dans sa fabrique. Un théâtre théâtral, ou bien de l’espace théâtral. Il s’agira donc d’observer comment le metteur au scène traite la question de la représentation.
Avant de décortiquer le squelette du navire, amarrons nous sur le titre, qui est provisoire, donc incertain, flottant, appelé à évoluer voire à disparaître; ITEM est en sciences de l’information un retour du message dans le principe d'une communication en boucle, aspect pour lequel un message survient. Cette définition ouvrirait la piste d’ un spectacle qui s’obstinerait à énoncer le même message. Et ce, de manière circulaire et répétitive. Il y a bien des fils inter-textuels, des liens ténus qui tissent une figure héroïque malade du monde à sauver et jetée dans la folie, bien incapable d’agir efficacement alors qu’on lui réclame à la fois de la grandeur et de se taire. Paradoxe d’une figure épique, le héros, ici traitée comme un être tourmenté, parodique. Cette récurrence de la figure du héros à son noyau. C’est le prince Mychkine, l’idiot christique de Dostoïevski qui traverse la scène et nous emporte dans la tempête sous son crâne. Ce héros oxymorique, indigent, pauvre est abandonné des Dieux et ne semble atteindre aucune Providence. Au contraire, il est rabroué, coupé, traité comme un enfant ou pire, comme un saltimbanque :" -(…) Si ça se trouve, c’est un grand charlatan pas un idiot. - Sans doute que oui, je le vois depuis longtemps. C’est dégoûtant de sa part de jouer la comédie. Il veut gagner quelque chose ou quoi, en faisant ça? »
La posture sincère, « C’est notre sincérité qui vous fait peur(…) », de l’homme providentiel recherchant le Bien est reléguée au rang de piètre comédien démasqué.
L’idéalisme est donc bien suspect ici et le héros perd tout attribut valeureux, noble, il se change en personnage qui doute dans un monde de plus en plus labyrinthique, personnage qui qui n’assume plus sa fonction antique mais, pire, est en proie à des crises qui concentrent tout le malaise d’une civilisation en perte de direction. « L’Idiot » est le texte-noyau du corpus d’ITEM, la première scène du spectacle avec un monologue illustré des peintures fait directement écho au choix de sujet de tableaux, loisir auquel s’adonnent les personnages du roman de Dostoiëvski ainsi qu’à la le genèse du roman, la vision hallucinée, et préparatrice du roman, de l’auteur du Christ mort (ou Le Corps du Christ mort dans la tombe ou encore Le Christ mort au tombeau) peinte par Hans Holbein le Jeune entre 1521 et 1522.
La crise du héros et son corollaire, l’excroissance du Mal, sont bien ici au coeur du spectacle. Et ce dernier l’emporte comme le signifie la ballade tragique de Marie Sanders en fin de spectacle. Le Mal triomphe à tel point que de la compassion naît chez le Diable qui n’ a « (…) même plus envie de tourmenter ces malheureux (humains). »
Revenons au titre pour plonger dans la carcasse du navire que nous appelons ici plateau. Pourquoi ? Car, la scène nous préserve de cette victoire du nihilisme et de la négation , car ITEM signifie dans sa forme adverbiale un ajout, un plus, un « aussi », une autre chose. Une lecture linéaire nous propose donc la crise d’une civilisation et notre impuissance à y remédier. Notre aveu de maladie. Mais l’esthétique du Radeau guérit le spectateur par une autre crise. Fragmentée, faites de superpositions de récits et discours enchâssées dans un récit-cadre, avec une scénographie qui met l’accent sur ces empilements, imbrications entre textes différents (autre chose) , ajoutant une perception d’enchevêtrement d’une profondeur infinie qui nous fait basculer dans l’irréel, le rêve. Scénographie qui participe au dérèglement d’un récit linéaire, qui brise toute emphase pathétique avec ses contraintes matérielles imposées aux acteurs, avec des cadres, portes, tables aux tailles et allures différentes qui participent d’une mise en crise de la représentation.
C’est bien ce qui est recherché aussi, un plateau en crise, dans le jeu d’acteurs, sans pathos, avec césures, dans un corps maladroit aux déplacements mécaniques. Des personnages tragiques qui se servent de la raison « pour être plus bête que n’importe quelle bête. » dixit Mephistophélès. La présence constante du comique chez l’acteur perturbe une narration tragique sans fond dans une atmosphère très pesante, chargée d’émotions dans laquelle est prêt à éclater le plus horrible, le plus indicible, comme l’enchevêtrement musical parfois bruitiste, mais peu souvent apaisé, nous le rappelle. Comme si nous étions au bord d’un gouffre et qu’à ce moment-là, au lieu de bravoure c’est la vanité qui ressortait des âmes. Nous sommes bien dans la satire avec cette ironie permanente des acteurs qui participe à ce mélange de genres qui mettant à distance le spectateur de cet horrible mal qui les ronge.
Peinture des caractères, des passions à travers une poétique de la crise, du héros, de l’homme, de la représentation, d’ITEM se dégage un rappel du tragique de l’existence, sans morosité, sans violence, sans amertume, simplement avec art.
Mathieu Méric.
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