Grief and beauty
texte et mise en scène Milo Rau.
Derrière ce titre romantique, « Deuil et beauté », se cache tout autre chose qu’une aventure passionnée avec des personnages ne dominant pas ou plus leurs sentiments et émotions.
C’est plutôt le contraire dont il s’agit avec un jeu d’acteur radicalement minimaliste et une action dramatique au point mort.
En effet, ce théâtre du non-jeu sans dramaturgie est plutôt un théâtre du récit, du storytelling très souvent face caméra. Le sujet central, terrible, est celui de l’acceptation et du choix de sa mort abordé par le destin de Johanna, 85 ans, décédée en août dernier mais, magie du théâtre, présente sur le tableau, et qui n’est pas une actrice. Nous frisons le théâtre documentaire en observant ses toutes dernières étapes jusqu’à son euthanasie, jusqu’au bouleversement final, filmé, de face. Documentaire d’autant plus que chaque acteur sur scène se livre à l’exercice autobiographique et évoque leur propre rencontre avec la mort d’un proche. Nous parlerons peut-être de théâtre anthropologique.
Vous l’aurez compris, ce refus du fictif, cet ancrage dans le réel de l’existence dans ce qu’il a de plus banal notamment inscrit dans ce décor d’appartement et des gestes rares et complètement habités d’habitude est un choix de mise en scène. Cette extrême sobriété dans l’utilisation des outils du théâtre ne craint pas la platitude et l’on suit ou plutôt écoute des histoires qui s’entrecroisent, le tout ramenant à l’histoire à rebours de Johanna qui domine en hauteur les acteurs avec son visage projeté sur un écran installé au-dessus du décor. Présence omnipotente, sans mots, omniprésence donc de la mort.
C’est cela que Milo Rau cherche à voir et faire voir. En bon tragédien qu’il est, ses sujets se trouvent dans les tabous, les meurtres, les guerres, le théâtre se charge de nous en purger du moins provisoirement.
Cette mise en scène de l’invisible par la mise en abîme d’un appartement familial est donc logique puisque l’espace aujourd’hui de la mort est confiné à celui de la famille et là, il n’est point besoin de chercher dans les contes, les nouvelles ou romans pour être traversé d’émotions, d’identifications, de re-vivre certaines situations.
Avec ce minimalisme au plus près du quotidien, celui qu’on vit tous, Rau démocratise la tragédie, il n’ y a nul roi, nul apparat dans ce théâtre mais ici l’égalité de tous devant la mort.
C’est le tour de force de la pièce avec des acteurs liés par leur présence sur scène et égaux car, comme la salle et les spectateurs, écrasés et impuissant par le sujet.
Le théâtre nous montre ce qu’on ne veut pas voir, il nous renvoie à notre condition humaine, à la précarité de l’existence sans trop de bruits, dans une banalité déconcertante comme lorsque Jeanne Dielman , dans le film éponyme de Chantal Akerman, reçoit ses clients dans un appartement fade où l’on imagine les odeurs de patates cuites. La tragédie se joue en sourdine, lentement, quotidiennement.
Ce qu'on nous montre aussi ici c’est l' acceptation de la finitude avec le choix de Johanna et l’accomplissement du deuil qui finalement est le spectacle lui-même. Deux façons non pas d’exorciser la mort mais d’apprendre à la regarder, l’apprivoiser et enfin l’accueillir.
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