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  • Photo du rédacteurMathieu Méric

Névroses vs. Fanatisme

Le Tartuffe ou l’Hypocrite

de Molière Mise en scène Ivo van Hove

Comédie en trois actes et en vers Version interdite de 1664 restituée par Georges Forestier, avec la complicité d’Isabelle Grellet Date de création de l’œuvre : 12 mai 1664 au Château de Versailles Première à la Comédie-Française




Version originale du drame censuré de Molière, celle-ci s’avère plus souple, délestée de sujets seconds pour se concentrer sur la folle relation Tartuffe-Orgon et le confit entre Cléante et son père. Ces deux axes nous montrent de manière tout à fait cohérente un désastre social, familial et religieux vertigineux. Resserrée, c’est peu dire que la mécanique théâtrale moliéresque fait mouche. Puisqu’on évoque le texte, autant le dire, c’est un sommet du théâtre classique tout simplement.

Ce texte, les comédiens du français sont là pour nous le faire entendre, je pense surtout aux minuscules arrêts entre deux vers de Dominique Blanc si sérieusement facétieuse en Dorine, ses gestes pesés et soyeux.

Aux pauses, aux regards de Podalydès avant de s’élancer, semblant chercher à inventer chaque fois une nouvelle manière de jouer son personnage. Chez lui aussi, tout est pesé, détendu.

Les arrêts volontaires de ces deux acteurs du français haltent le précipice d’une famille éclatée par une crise totale en son sein. Et l’absolutisme de la grand-mère énoncée au départ n’y fera rien. Saleté de gens qui font le Mal croyant faire le Bien.

Ivo Van Hove n’innove pas tellement en présentant le moteur de la catastrophe, Tartuffe, en personnage diabolique teinté de sadisme. La représentation de cet ami qui veut du bien à la famille du riche Orgon va devenir canonique. Donc, somme toute, le Tartuffe de 2022 reste classique. La folle douce et légère (de départ) d’Orgon instaure une brisure dans le jeu du personnage dont la colère a souvent été mise en scène trop tôt voire introduite dans ses gênes. Ici , Orgon, semble le plus distrait de la famille, le plus léger jusqu’à l’explosion finale après la scène de la table.

Son aveuglement insensé, son déni qui dure amplifie bien sûr le ridicule mais surtout tend vers l’effrayant ravage que peut provoquer le fanatisme. Cette folie légère, provinciale, nous ferait encore rire si Orgon ne ne prenait pas la place du naufragé de départ Tartuffe à la fin de la pièce, dépouillé de tout: famille, amour, argent et esprit.

Ce jeu de la folie un peu rieuse de Podalydès-Orgon est en contraste avec atmosphère sombre et décadente sur le plateau où les scènes se jouent après d’étranges et répétitifs rituels de salutations entre les acteurs (ou les personnages) : Façon de rappeler que nous sommes bien au théâtre ? Bizarre, étant donné que le théâtre de Molière s’il est hautement subversif ici est bourré de conventions…

Van Hove transpose en fait Molière dans les Damnés, costumes rigides, pas de couleurs, bruits sonores orageux, cette atmosphère donne l’impression d’une famille totalement repliée sur elle même en proie à ses démons dans un huis clos glacial et surtout face à un himme guidé par une pulsion destructrice et violente. Oui, dans cette version originale ramassée, Tartuffe est plus bestial, plus rapidement enclin à la chair. Un violence contre la sienne de chair, apparaissant d’abord pénitent en se fouettant. Violence inapaisée du désir sexuel et in fine, art pervers et nihiliste de détruire toute institution.

L’extension de cette destruction jusqu’à prendre possession des biens d’autrui résonne pour Van Hove comme des changements de place dans le corps social. La déchéance final d’Orgon , laissé-pour-compte, remplacé par la fausse dévotion et la vraie perversion se marque au niveau social pour lui. Si la maison se libéralise, et c’est tout le piège qui se referme sur la famille, il se fait au détriment d’un bouc émissaire, d’un renversement social vu comme une vengeance dont le trajet est sordide pour arriver à ses fins. Ce qui nous fascine encore c’est le caractère inéluctable de cette escalade qui chemine, à tel point qu’ont rit mais d’une tragédie. Molière, plus qu’un peintre de moeurs, est ici un agitateur de névroses.


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