La performance de Marie Payen dans la salle Topor au Théâtre du Rond-Point porte des paradoxes dont les frictions rendent le geste lumineux : Dire le tragique tout en étant salvatrice.
Dans une lumière enténébrée qui nous transporte aux limbes hantés de spectres d’innocents vivants ou morts, elle s’avance avec pour seule protection dans cet espace infernal une robe longue traînée de fortune sur la peau. Reine déchue, sortie d’un conte terrifiant, l’actrice partage avec humilité dans une courte introduction, la genèse de son travail avec les exilés. Cette élégie qui embrasse tous les damnés de la terre quittant leurs racines, leur maisons, leurs proches pour survivre à la misère, aux vicissitudes du temps, est avant tout une expérience du dire. Dire l’effroi, Dire l’enfer des exilés.
Mais ici le dire accouche d’une autre langue, il vient subvertir toute structure langagière connue. Ainsi, nous sommes orphelins de repères, nous entrons en errance dans une forêt de signes avec pour guide un coryphée des âmes damnées.
C’est l’expérience de la perte des sens, de l’habitus, qu’accompagne la naissance de cette « lingua incognita » surgissant de la voix endeuillée de l’actrice. Un nouveau monde de rhapsodies soutenue par une musique improvisée en direct sourde mais très présente qui sait traduire aussi une mer fracassée avec son ressac de vagues en quête de Rédemption.
Dans cette tempête qui devient connaissance par les gouffres et aborde l’expérience de l’exil par la destruction de repères, par un tissu narratif sans cesse effiloché, nous approchons plus intensément et surtout plus grandement le destin sensible de ces corps torturés, poétisés par Marie Payen.
Des râles, des croisements de langues, un monologue d’un enfant à naître, une interview rapportée, un épuisement de la langue qui désoriente, sème la terreur dans nos esprits cartésiens. Une langue en action totale, sans pudeur. Une poésie en marche violemment vivante où Marie Payen se métamorphose en chaman organisant l’ouragan. Les mots obtiennent alors un pouvoir qui permet de renverser la perspective de la question migrante. De sous-hommes au seuil de la mort nous assistons à leur transformation par une langue poétique anarchique qui n’aspire qu’à embrasser, déflorer le vivant. Plus que de la dignité, c’est de la puissance qui est transmise ici. Rien de figuratif, de descriptif mais une traversée dans la langue remplie d’une énergie destructrice et rédemptrice. Beau et dévastateur.
Mathieu Meric
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