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  • Photo du rédacteurMathieu Méric

TIGER KING , « …blood, toil, tears and sweat ».


Vers la toute fin du docufiction Tiger King produit par Netflix, Joe Exotic, figure hors-norme et pivot de ce phénomène télévisuel paraphrase ainsi Churchill car il n’imaginait pas que l’ouverture du « Greater Wynnewood Exotic Animal Park » planté entre Oklahoma City et Dallas, autrement nommé le « G.W. Zoo », entraînerait tant de problèmes jusqu’à le pousser dans les abîmes de la justice fédérale américaine. Ce « true-crime », forme de documentaire populaire apparu d’abord en littérature avec notamment le célèbre De sang froid de Truman Capote en 1957 qui mêle faits et fiction, montre l’ascension puis la chute d’un fantasque gérant de zoo contenant des « big cats », c’est-à-dire principalement des tigres et lions supposés évoluer en toute liberté dans une nature sauvage, rongé par sa démagogie et son désir de vengeance. Mais ce drame secrète d’autres zones abyssales qui lui donne un aspect assez vertigineux. Si la question du pouvoir et de son emprise sur les hommes jusqu’à la folie est démantelée remarquablement, cette oeuvre , inoffensive au premier abord de part les lieux et les personnes, des blancs pauvres du « Deep South » autrement dit des « rednecks » , évite soigneusement tout manichéisme en peignant les différents protagonistes avec leur part d’ombre, et elles sont pléthores. Enfin, une nouvelle tournure inattendue se dessine à la fin d’une oeuvre aux multiples rebondissements, la transformation d’un « true crime » en documentaire militant contre le terrifiant trafic d’animaux sauvages aux Etats-Unis.

La mécanique du « gourou » Très bien mis en scène, vif et elliptique, avec d’innombrables interventions de Joe Exotic en plan serré, en réunion ou en prêche face à un public, le documentaire démonte les mécanismes d’une accession à la notoriété. Pourtant, lorsque l’on observe le personnage c’est plutôt un sourire apitoyé et condescendant qui se pose sur notre visage. Joe semble sorti tout droit d’un vieux cirque ambulant dans lequel il aurait pour fonction dompteur de sauvages. Un homme d’une époque révolue et au charisme douteux. Entouré de paumés à qui il offre gîte et couvert, à défaut de salaire - Il les exploite allègrement- c’est pourtant le contraire dont il se vante. Des animaux libres en contact direct avec les hommes et la nature. Et c’est ce qui va le rendre célèbre, localement d’abord. À coup de démonstrations avec les fauves, de photographies avec des bébés tigres ou lions pour remplir les comptes Instagram, le zoo devient extrêmement attractif car, vivre en compagnie d’animaux sauvages en liberté est aussi une lubie qu’il partage avec beaucoup de gens. L’aspect sensationnel, séducteur et populaire propulse Joe Exotic sur le devant de la scène : popularité sur les réseaux sociaux, émissions, télé-réalité. Cette mécanique de la notoriété le portera à se présenter aux élections présidentielles américaines de 2016, puis en 2017 pour de l’Etat d’Oklahoma- il obtient 19% des suffrages! -. L’ivresse du pouvoir s’empare de Joe et son cortège funeste: tyrannie, paranoïa et manipulation. Si le tableau s’assombrit avec ce portrait décadent de Joe, la tonalité du documentaire se noircit un peu plus avec la présentation d’un zoo du même type à Myrtle Beach en Caroline du Nord dirigé d’une main (malsaine) de maître par Baghavan « Doc » Antle, autre personnage haut en couleurs mais beaucoup plus réfléchit que Joe et surtout à la tête d’une véritable secte. Ses employés -surtout de femmes dont il abuse à sa guise-qu’il ne paye pas et qui travaillent tous les jours vouent un culte au « Doc » qui, lui aussi, sous couvert de rendre leur liberté aux animaux gère un juteux et immense parc zoologique. On retrouve l’aspect communautaire sauf qu’ici ce ne sont pas des « freaks » mais des femmes mariées avec ou en liaison avec Antle, on retrouve aussi une pouvoir de séduction avec les animaux qui le rend très populaire, un fonctionnement tourné vers l’industrie de l’entertainement et, last but not least une grande mégalomanie. Antle et Joe se connaissent, Le « Doc » est le pionnier en la matière, il est celui qui va ouvrir la voie à Joe, son maître, le gourou. Cette bifurcation par Myrtle Beach nous montre tout le cynisme de l’entreprise qui s’appuie la crédulité pour constituer des fortunes considérables. Derrière le grotesque des personnages, c’est bien le phénomène d’emprise et de manipulation des gens qui est dépeint, caractéristique des mouvements sectaires.

Des figures sorties d’un roman policier

À côté de ce monstre à deux têtes qui traite les hommes comme il traite ses animaux, du bétail au service d’un culte de la personne, d’une success story fabriquée à coup de lasso et d’esclavage, gravitent des personnages aussi inquiétants que ces gourous rednecks. Jeff Lowe, dont on ne sait s’il est millionnaire ou pas, actuel propriétaire du « G.W. Zoo » joue un rôle trouble et toujours pas élucidé dans la survie du zoo. Improbable sauveur de Joe lorsque celui-ci, ruiné, quête jusqu’à ses parents-qu’il ruinera- débarque de Las Vegas, casquette et bandana sombres vissés en permanence sur la tête, cuir de motard tout en conduisant sa Ferrari. Flambeur, au début il rapatrie des bébés pour les fêtes « people » de Vegas, toujours le chic d’être en photo avec un petit lionceau. C’est aussi un affairiste qui a fait de la prison au regard et au calme impressionnants de morgue à l’écran. Très vite et sans surprise, tout cela dégénère avec Joe qui ne supporte pas la prise de pouvoir de Jeff. Mais c’est le personnage de Carole Baskin qui fascine tout autant que Joe Exotic. Propriétaire de « Big Cat Rescue », un refuge pour animaux à but non-lucratif situé près de Tampa, en Floride, elle s’oppose au traitement des animaux par Joe qui en retour lui voue un haine croissante tout au long de la série. Alors que le décor paraît planté, Joe vs. Carole Baskin, resurgit le passé de Carole et la disparition non-élucidée de son premier mari, millionnaire qui protégeait les animaux sauvages aussi. À cela s’ajoute le témoignage de la première femme et des filles de ce millionnaire sur l’attitude rapace de Carole pour faire déclarer le disparu comme mort et obtenir l’héritage. Le creusement du passé de Carole par le documentaire lui donne une teinte de narration policière. Avec reconstitutions, témoignages, enregistrements, on bascule dans l’enquête et l’auréole au-dessus de Carole s’efface. D’autant plus que Carole offre des points communs avec son pire ennemi. Les images du « Big Cat Rescue » montrent un traitement qui semble identique de celui du « G.W Zoo », la fortune est colossale et s’est constituée à peu de frais car elle s’appuie sur une armée de bénévoles pour organiser les visites. Elle aussi sur-joue les photos avec les félins sur les réseaux sociaux. Surtout, la vaillance avec laquelle elle va ruiner la vie de Joe, même si celui-ci ira au-delà de l’outrage, démontre un caractère tout sauf philantropique. Nous restons dubitatifs face à ces personnages qui apparaissent comme remplis de bonnes intentions , « sauveurs » au passé hanté par le mystère, ne reculant devant rien pour écraser l’adversaire. Tous ces éléments ombrageux renvoient au roman policier du Sud américain, d’un James Lee Burke ou d’un Tony Hillerman où l’humanité pleine de crasse court vers l’or par tous les moyens. Où l’homme devient animal.

Une oeuvre militante

Sauf que ces personnes existent réellement, nous ne sommes pas protégés par la fiction. Même si l’artifice des archives et les reconstitutions servent la dramatisation de l’oeuvre, plus nous avançons plus nous sommes pris d’effroi à l’idée que ces tyrannies, machinations, intrigues et mystères n’ont pas été inventées. Si le décor est chatoyant, les personnages navrants et grotesques, c’est clairement une plongée dans l’obscurité de l’âme humaine, dans un marigot boueux, bien sale, teinté de sang. Dans cette guerre des zoos, la toute fin de la série se concentre sur les premières victimes: les félins, que Joe a parfois tué jeune pour faire de la place ou parce que, ruiné par sa lutte à mort avec Carole, il ne pouvait tous les nourrir. Félins que l’on voit en cage et/ou devant un public fasciné et riant. Exploités jusqu’aux os par des fous furieux qui poursuivent leur gloriole. En même temps que l’escroquerie du sectarisme , c’est le trafic illégal et inhumain des animaux sauvages qui est dénoncé. Les chiffres sont ahurissants, il ne reste plus que 4000 félins en liberté sur le territoire américain. Et quand on voit le traitement qui en est fait dans Tiger King, on se dit que si les autres, en captivité, subissent des traitements à la hauteur de l’ignominie engendrée par l’appât du gain et la célébrité que l’on observe dans la série, alors ce n’est pas de la sensibilisation mais un coup de poing que nous reçevons en regardant un docufiction qui met en doute le progrès des civilisations. M.M



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