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Photo du rédacteurMathieu Méric

À L’EPREUVE DES ROBOTS “CONTES ET LÉGENDES” une création théâtrale de Joel Pommerat

Le titre nous dit peu sur cette création de Jöel Pommerat, si ce n’est la continuité du compagnonnage d’une partie de son oeuvre avec cette forme de récit qu’est le conte. À la suite du Petit Chaperon rouge, de Pinocchio, Cendrillon, comme le titre d’une anthologie destinée aux enfants, « Conte et Légendes » s’inscrit dans la (in)délicate saison de l’enfance.

Le motif du conte est indubitablement lié à une morale. Les protagonistes sont confrontés a des péripéties dont leur dépassement vaut leçon de vie. « Légendes » mot accolé à « Contes » nous situe dans des tentatives d’explication du monde, de sa création, par l’imaginaire. Morale, connaissance du monde, imaginaire, trois axes structurants dans lesquels Pommerat peut déployer sa vigueur créatrice pour nous parler de nos comportements, nos moeurs, notre temps. Il faut bien le dire, Pommerat se fait moraliste.

Titre généralisant, forme littéraire protectrice très balisée, un schéma narratif bien huilé, une production normalement destinée aux enfants, tout cela donne l’illusion d’une oeuvre inoffensive, rejetée dans un imaginaire merveilleux qui agirait comme plaisant divertissement et nous éloignerait du réel. D’une part, il ne faut pas oublier qu'au moins depuis Perrault, le conte possède des lectures psychologiques et politiques qui en font un genre sérieux. D’autre part, la réalité du plateau va logiquement dans ce sens et nous ressortons plus adultes, plus lucides et donc inquiets de ce spectacle.

Cette création est toutefois marquée par le remplacement du merveilleux par une entité qui se fait de plus en plus présente parmi nous: l’intelligence artificielle. De ce fait l’aspect anticipation est présent dans le spectacle placé dans un réalisme cru et brutal, si près de nous. Dans ce cadre structurant du récit, Pommerat met en scène l’intrusion des robots dans le quotidien adolescent. Cette immixtion sème un trouble et révèle un visage glacial de notre monde contemporain. Mais « Contes et Légendes » n’est pas une production à thèse. Pommerat nous propose un théâtre de situations où l’ambiguïté et l’incommunicabilité dominent. Aussi, ces situations interrogent plus complètement nos valeurs, nos classifications traditionnelles. Cette présence de personnages artificiels perturbe des socles bien ancrés dans notre société et la terre tremble sous ses garants. Les fondements sont attaqués, il y a des affrontements durant tout le spectacle. Au fond, il s’agit plus d’un théâtre d’opérations que de situations tant c’est la guerre qui domine dans les relations entre les hommes; guerre entre humains et robots dans le champ du désir, semant un étrange sentiment de malaise car de l’autre côté, l’humain autrefois désiré révèle son ennui, ses impasses face à un monde de plus en plus confus. Est-ce que les robots participent à cette confusion généralisée ? La réponse est plus fine et complexe. Il apparaît dans un comble d’ironie, relevant de la satire que le robot est le personnage le plus sage, avec le plus d’empathie au milieu du désordre familial, amoureux et générationnel. Et pour preuve, on lui laisse la garde d’enfants, de bébés. Il devient un icône de pop music au pouvoir quasi-thaumaturge dans la scène finale. On tombe en émoi amoureux pour lui. Camarade idéal, il peut être réinitialisé en bonne à tout faire selon les volontés.

Et l’on en vient au sujet qui traverse cette création, la domination d’un être ou un groupe sur un autre être ou un autre groupe. Soumis aux vivants, les robots ne répondent qu’aux injonctions donc produisent une satisfaction immédiate qui facilite l’empathie à leur égard. Qui facilite leur exploitation aussi pour éviter la solitude, pour faire le ménage. L’homme se sert littéralement du robot pour panser ses plaies mais cela ne suffit pas tant elles sont béantes. Au lieu de régler nos vies, cette béquille artificielle les dérèglent, révèlent leur inanité et montre la nécessité d’un ailleurs, La question de la domination que révèle le rapport vivants-robots provoque de violentes secousses dans des strates comme la famille et le genre. Tout explose soit insidieusement avec cette scène viriliste où un encadrant chasse la différence chez un garçon en l’humiliant devant une meute qu’il a façonné , soit nerveusement avec cet adolescent dont la mère a quitté le foyer et qui s’occupe de ses frères en bas âge faisant face à la situation et l’attitude d’un père absent et lâche. On atteint le pathétique quand une famille souhaite acheter un robot d’occasion pour s’occuper des tâches ménagères car la mère ne sera plus là pour officier. En corollaire à cette société qui perd son masque et dévoile ses rapports de domination, la patrie adolescente ne se laisse plus berner : la révolte du fils qui remplace la mère, la colère face à la situation familale au moment d’acheter un robot. Eux, nous montrent de réels sentiments, une réelle exaspération, une réelle violence dans le langage qui accrédite la thèse d’un monde où les relations se distendent car l’autre est devenue plus que proie ou ennemi. Leurs réponses peuvent nous troubler, c’est certain, mais elles expriment la violence qu’ils reçoivent et le désir-refuge de trouver un espace hors du champ de bataille. Comme dans tout conte, les sarcasmes, l’ironie laissent la place au véritable visage d’un monde terrifiant et appelle à plus de consistance et d’humanité en montrant que l’inhumain nous le fabriquons tous les jours. A tels points que les robots seront plus humains.

Mathieu Méric


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