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Photo du rédacteurMathieu Méric

MAFIOSO, AU CŒUR DES TÉNÈBRES Mosco Levi Boucault 2022,France,52 min



Le nouveau film de Mosco Levi Boucault sera projeté cette semaine lors du 44e festival du documentaire "Cinéma du Réel“ . L'occasion pour moi, de mentionner mon retour sur "Corleone le parrain des parrains" , documentaire de Levi Boucault, datant de 2019. Il est disponible sur Netflix.



"Là où il y a de l’argent, il y a la mafia. Là où il y a de la culture, il n’y a pas de mafia.”

Puissant documentaire en deux parties proposé par ARTE sur le “capo dei tutti capi”, le (vrai) parrain des parrains de la Mafia sicilienne, Salvatore “Toto” Riina. Ce natif de Corleone, bourg à l’allure paisible, coincé entre les champs jaunis par la touffeur aride de l’intérieur de la Sicile, n’est ni la petite frappe qui gravit les échelons, ni le stratège politique qui arrive à ses fins, il s’agit de l’un des plus grands criminels de l’après-guerre.

Dans le film, un des ses collaborateurs pour le définir dit : “Riina n’est pas un politique, c’est un tueur.” Point.

LE SANG, TÒUJOURS LE SANG

C’est par le sang et uniquement par le sang que Riina va devenir le chef de toute la Mafia sicilienne entre les années 60 et les années 90. Comment accède-t-il à ce cette place ? En tuant les chefs mafiosi de Palerme; Comment se maintient-il ? En instaurant la terreur dans toute l’île à coup de meurtres, attentats, enlèvements..Point culminant de cette stratégie de la terreur , les années 79 et 80 durant lesquelles Riina entre en guerre contre l’Etat en tuant, entre autres, le président de la région. La terreur atteint un tel degré que plus un seul juge ni politique n’ose à ce moment l’attaquer. Rome envoya bien le préfet qui mit fin aux Brigades Rouges. En vain, celui-ci fut assassiné quelques temps après son arrivée sur l’île.

Cette fuite en avant sanguinaire pour le pouvoir qui aurait fait pâlir le duc de Gloucester futur Richard III, va trouver une issue forcément fatale grâce à deux juges qui le payeront de leur vie. À partir de l’année 84, les juges antimafia, Falcone et Borsellino vont mener un guerre à la Mafia sicilienne, c’est-à-dire à Riina.

FALCONE/BORSELLINO VS. RIINA

C’est le témoignage d’un repenti, Buscetta, injustement appelé “le traître” dans le prochain film de Bellochio, réfugié au Brésil, dont Falcone retrouve la trace, qui va faire basculer le destin de Riina.

L’homme, qui tenait un rôle non négligeable dans le système mafieux, a un suprême désir de vengeance car le parrain a tué ses fils et son gendre. Mais il ne peut s’attaquer seul au corleonais. La visite de Falcone est une bénédiction ou “mieux qu’une Kalachnikov “ comme s’exclame dans le film le procureur Ayala.

Buscetta, au-delà du fait de donner des noms, décrit tout le système de Cosa Nostra à Falcone qui pour l’anecdote ne savait pas que la Mafia se nommait ainsi.

C’est alors l’ouverture à Palerme du “Maxi-Procès” avec 375 prévenus, tous les représentants de la Mafia sont là, sauf Toto Riina, déjà en cavale. À noter que c’est un magistrat du civil et non du pénal qui sera désigné juge du procès. En gros, tous se débinent devant la liste des accusés et la menace Riina règne toujours.

Il tombera finalement en 1994. Repéré puis arrêté, après un retentissant procès, il meurt en prison à l’automne 2017. Avant son arrestation, il aura quand même fait assassiné Falcone avec 500 kilos d’explosifs le 23 mai 1992, le “11 septembre sicilien”; puis 55 jours plus tard c’est Borsellino qui est victime d’une explosion.

UNE EXPLORATION DU MAL

Les témoignages d’anciens de la garde rapprochée de Riina sont par moments insoutenables. Ce qui frappe, c’est leur dévouement absolu au capo mais aussi et surtout comment le fait de tuer était ancré dans leur quotidien telle une routine. Cette banalisation du meurtre instaurée par Riina montre une nature morbide à côté de l’entreprise de corruption, fond de commerce classique de la Mafia. Riina a véritablement changé la donne en faisant passer la Mafia dans un âge sanguinaire. Et ces témoignages de proches l’illustrent parfaitement. Effrayants sous leurs cagoules et lunettes, volubiles, ces hommes de main qui se confessent pour la plupart à l’Eglise et croient faire le bien (!!) enfin s’en persuadent, n’expriment absolument aucun remords quant à leur activité: tuer sans vergogne.

Nous assistons véritablement dans ce documentaire à une exploration du Mal , il peut être habillé comme un petit parvenu en écharpe de cachemire avec un visage de paysan. Les images du procès Riina sont absolument ébouriffantes, de son entrée à la confrontation avec Buscetta, cette longue séquence est à la fois bouleversante et difficile à regarder d’un souffle tant la tension déborde de l’écran. Surtout, nous observons ce visage au moment où Buscetta l’interpelle sur l’assassinat des membres de sa famille, impassible, puis, se mettant à rire de façon sarcastique. Le Mal a bel et bien ici un visage.

Pour finir, je retiendrais qu’une des causes de l’emprise de la Mafia à Corleone et plus généralement sur l’île est bien expliquée par le témoignage d’un commissaire dans le film. Un jour, il demanda à un jeune mafiosi pourquoi il était entré dans la Mafia et donc dans la corruption et le meurtre. Le mafiosi lui répondit qu’avant il n’était rien et que grâce à la Mafia, il était devenu quelqu’un. Ce point est essentiel et fait écho à l’interview du réalisateur Mosco Levi Boucaut à la radio que j’écoutais l’autre jour, il décrivait Corleone comme un désert apocalyptique. En gros, il n’y a rien, aucune issue pour la jeunesse du “paese” si ce n’est être enrôlé dans le crime organisé. Cette histoire sanglante est née de la misère et de l’ignorance, elle montre que plus que jamais le droit et la culture sont des armes vitales contre toute terreur.

1 septembre 2019.


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