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Photo du rédacteurMathieu Méric

SILENCE, L'EUROPE S'EFFONDRE

Contes Immoraux – Partie 1 : Maison Mère Ecriture et mise en scène: Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault – une performance de la compagnie Non Nova.


Phia Ménard prend à bras le corps le problème de l’Europe dans cette première partie des « Contes Immoraux » intitulée « La Maison Mère ». Une performance où la colère sourde face à la débâcle du monde semble être l’énergie qui habite ce personnage mi-sauvage mi-maléfique et surtout très punk qui déambule, soulève, scotche (on y reviendra), place, déplace du carton (on y reviendra aussi) pendant plus d’une heure et demi sur le plateau. Elle nous empoigne par la « progression » de la performance dont le synopsis est très simple : le personnage tente d’élever une maison en carton. Seulement, cette entreprise réalisée directement devant nous sans aucun artifices, devient une aventure impossible et advient une dramaturgie de la capacité ou non de la performeuse à accomplir cette tâche.

Alors, spectateurs, nous sommes traversés par un arc d’émotions qui oscille entre des doutes initiaux devant ce court projet scénique, le rire face au comique du scotch qui n’adhère pas ou s’arrache, face aux parois tombant après une minutieuse et éprouvante installation de notre constructrice damnée, jusqu’à l’émotion intense ressentie physiquement tellement le théâtre est rempli de sa force constructive. Juste avant l’effondrement.

Car, en peu de temps, notre empathie s’amplifie, le spectacle devient tragique. La structure ploie très facilement sous le poids d’une pluie drue balancée du haut du théâtre. Nous contemplons alors un acharnement vain, une force en désuétude, une vitalité réduite en déchet.. L’effet est parfaitement réussi, après la construction, la destruction rapide, tout redevient poussière. Que signifie la brutale chute de cette architecture précaire ?

Evidemment, on ne peut s’empêcher de penser, dans un premier temps, a « One Week » de Buster Keaton, même aventure solitaire, silencieuse et absurde. Même chute icarienne de l’édifice. Travail avec la matière comme le burlesque sait si bien en tirer une morale, amorale d’ailleurs.

Mais devant cette absurdité préparée, c’est le mythe de Sisyphe qui nous saute aux yeux. Cette entreprise vaine et répétitive issue de la mythologie dont s’empare Albert Camus pour montrer l’absence de sens dans la vie humaine et la nécessité de se révolter contre le vide de la pensée. Car c’est l’absence de sens ou du moins l’échec de ce dernier que met en scène Phia Ménard, avec la matière. Et c’est ce qui nous émeut le plus. Rappelons que ces « Contes Immoraux » - ils seront déclinés en triptyque « La Maison Mère » en est le premier volet - sont une commande de la Documenta 14, exposition quinquennale d’art contemporain qui s’est déroulée à l’été 2017 à Kassel en Allemagne et Athènes. Les thèmes proposés étaient « Apprendre d’Athènes » et « Pour un parlement des corps », la performance s’approprie explicitement ces enjeux.

Allégorie d’une construction lente et difficile, de son démembrement abrupt, la performance se transforme en une eschatologie de l’Europe.

Phia Ménard s’attaque au coeur de celle-ci, son creuset symbolique, celui du Parthénon, c’est-à-dire la maison d’Athéna patronne de la Cité où est né le demos, le peuple en politique, première apparition du partage du sensible. Cet héritage auquel se réfère dès le préambule le Traité établissant une constitution européenne (https://www.conseil-constitutionnel.fr/…/referendu…/3tce.pdf) disparaît sous une épaisse fumée. Que cela signifie-t-il ? Nous sommes-nous coupés de ces valeurs humanistes en face de la question migratoire ? Faut-il détruire cette configuration actuelle de la politique européenne qui s’effiloche dangereusement ? Voyez Orban en Hongrie, Morawiecki en Pologne.

Ce sont ces questions essentielles pour notre avenir en commun qui apparaissent derrière le carton, montrant toute la fragilité d’une monture qui craque, gondole et finit par tomber. Hagards, sonnés, nous sortons avec ces interrogations rendues inévitables par les temps actuels, auxquelles nous serons bien sommés de répondre. Phia Ménard nous le rappelle, il y a urgence.

Mathieu Méric


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